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La plongée avec les pros

On pourrait croire comme ça, innocemment, qu’emmener plonger des instructeurs et des divemasters, des professionnels donc, c’est fastoche. Après tout, ils savent ce qu’ils font sous l’eau, ils comprennent les règles de sécurité et autre, etc. Eh bien vous auriez tout FAUX.

Parce que la plupart du temps, les emmener plonger est à peu près aussi plaisant que se brûler la plante du pied avec un fer à souder. Peut-être pas la plupart du temps, disons la moitié d’entre eux.


En temps que pro de la plongée, je ne sais pas trop comment il est possible de supposer qu’on sait mieux que tout le monde, surtout en se rendant dans un endroit où on n’a jamais mis les palmes. Quand je vais dans un endroit que je ne connais pas, je fais ce qu’on me dit, c’est-à-dire que je suis le guide, je remonte quand on me demande de le faire, je ne me colle pas 15mn de temps de décompression, bref je me comporte normalement sous l’eau. Certes, il n’est pas exclu que je traîne un peu en arrière pour prendre des photos ou que je descende deux trois mètres plus bas que les autres quand les conditions le permettent, mais je ne me comporte pas comme la fille qui sait tout et mieux que tout le monde, vu que les gens qui bossent là savent bien mieux que moi. Parfois je me dis à moi-même que le guide n’est pas super ou que je ne ferais pas ci ou ça à sa place, mais ma foi comme je n’ai pas besoin qu’on s’occupe de moi sous l’eau, je garde mes réflexions et je vis ma vie.

Donc naïvement, je supposais avec l’innocence qui me caractérise que les autres pros faisaient de même. Et une fois de plus, j’avais bien tort.


Il s’avère que grâce au sondage très précis réalisé par mes soins, 58% des professionnels de la plongée sont des trous du cul qui pensent tout savoir parce qu’ils ont 500/1500/5000 plongées et qu’ils sont des pros, donc ils savent tout.


Première catégorie : « le crétin environnemental ». En tant que plongeur professionnel, vous supposez naturellement que les autres pros maîtrisent leur flottabilité sous l’eau, non ? Ca m’irrite pas mal quand mes élèves posent leurs palmes sur le corail, mais bon ma foi ils apprennent, quelque part c’est aussi mon boulot de m’assurer qu’ils ne le font pas.

Mais quand un supposé pro avec quelques centaines de plongée sous la ceinture (de lest, haha) s’allonge sur le récif pour prendre une photo d’un nudibranche, ça me donne envie de leur coller ma main dans la figure. (ce que je ne fais pas, en général. Je fais par contre des signes très clairs sous l’eau qui signifient « enlève tes palmes et des grosses fesses du récif de suite avant que je t’en colle une »).


Deuxième catégorie, ma préférée : “je suis le Superman des profs de plongée. Je peux aller plus profond, plus longtemps, je peux faire ce que je veux sous l’eau parce que je suis SuperBalèse ». Parfois ils arrivent et demandent s’ils peuvent louer des bouteilles et aller plonger seuls (en général sur les sites les plus difficiles, parce bon, ils sont trop balèses. Ou alors de suite ils demandent s’ils peuvent aller profoooooond. Ou si on peut plonger là et aussi là, et puis après ils te racontent tous les trucs incroyables qu’ils savent faire ou ils blablatent pendant des heures de leurs formidables talents de photographe sous-marin/plongeur tec/prof de plongée/autres trucs incroyables, parce qu’ils sont tellement formidables.


Il y a quelques semaines, un magnifique spécimen de cette catégorie a passé notre seuil et j’ai eu le privilège de l’emmener plonger (j’en suis encore toute émue). Appelons-le Joe, pour ne pas préserver son anonymat. Donc Joe travaille en Thaïlande, il est super formidable, il a fait trois millions de plongée, en plus il a été plutôt gâté par la nature donc il pavane comme un paon toute la journée. Et Joe il veut voir un mola. (ce que je comprends, notez bien, c’est chouette de voir un mola. Sauf que Joe, mieux que les clients qui ont 10 plongées, il devrait savoir que personne n’est le chef de l’océan, sauf l’océan. Passons). Le reste de mon groupe, hormis Joe SuperBalèse, consiste en un divemaster qui n’a pas plongé depuis un an et deux plongeurs un peu expérimentés mais pas trop quand même. Donc nous voilà à Crystal Bay et après quelques centaines de questions de la part de Joe (que in petto j'ai déjà rangé dans la catégorie trou-du-cul), je l'informe poliment que si je dois écourter la plongée pour remonter quelqu'un il peut rester sous l'eau tant que je peux le voir et que je redescendrai pour qu'il puisse finir sa plongée peinard.

Crystal Bay comme son nom l'indique a une baie protégée et un tombant qui fait le tour d'un petit îlot où les courants peuvent être forts. Fort genre "tu te fais aspirer dans le chenal entre les îles ou il faut s'accrocher", pas juste il faut palmer un peu.

Crystla bay.jpg

(voilà Crystal Bay. L'îlot en bas avec les vagues qui se forment, c'est là où est le tombant)


Donc nous voilà partis et pas de bol, il y a pas mal de courant au coin du tombant, là où en général si on a de la chance se cache le mola. Nous palmons donc pas mal pour arriver jusque là, puis je palme pour rester au même endroit, je dis à tout le monde de rester près du récif, et je vois que l'un des plongeurs panique un peu. Trop de courant, trop de palmage, je la tiens un peu et je vois qu'elle avale son air comme un ivrogne son whisky, donc je fais signe à tout le monde de faire demi-tour afin qu'on puisse retourner dans la baie et que je puisse la remonter là où c'est calme. On est sous l'eau depuis environ 35mn donc je fais signe aux autres de rester là où ils sont pour que je fasse le palier et la remonte avant de redescendre. Joe SuperBalèse est à l'arrière, il me dit par gestes qu'il fait demi-tour, il attrape son binôme le divemaster et puis il repart sur le tombant dans le courant. Super.

Donc je remonte les deux autres, je redescends sur le tombant et je me cogne le courant contraire pour trouver ce crétin, je croise mes collègues qui me disent qu'ils ne l'ont pas vu, et je commence à suer un peu dans ma combi malgré le fait que l'eau est bien fraîche. Finalement je les trouve encore le long du tombant, et je signale de manière extrêmement claire "tout le monde au palier et sortez vos fesses de l'eau MAINTENANT".

molamola.jpg

Pas de mola pour Joe...Quel dommage.

Je grimpe sur le bateau pendant qu'ils font leur palier, et quand mon collègue Made voit ma tronche et que je lui fournis le résumé suivant "ce trou-du-cul a fait demi-tour et s'est tiré sur le tombant avec son binôme", il suggère avec le bon sens qui le caractérise que je m'assoie deux minutes pour un café-clope avant de causer avec Joz SuperBalèse. Je suis donc ce judicieux conseil, avant de demander à Joe de diriger son magnifique popotin à l'arrière du bateau, pour avoir une petite conversation qui commence par "Je pense que je ne me suis pas fait comprendre assez clairement..." et qui se termine par "j'en ai rien à secouer de ce que tu fais ailleurs mais quand tu plonges avec moi, le chef c'est moi, donc tu fais ce que je te dis ou tu plonges pas". Je vous passe toutes les bonnes raisons qu'il avait (il est super fort, il sentait que le mola allait venir, le courant ça allait, il n'a pas compris ce que j'avais dit, etc).

Il s'est avéré que j'avais donc raison et il s'est bien comporté comme un abruti total pour le reste de la journée. Sur le bateau entre les plongées il apprenait à tout le monde à plonger, il racontait ses incroyables histoires, et puis rien ne l'impressionnait parce que bon, il savait tout mieux que tout le monde.


Heureusement, les 42% restants sont très sympas. Ils sont supers sous l'eau, ils laissent le corail tranquille, ils sont contents de leurs plongées, ils sont contents et disent merci quand on leur trouve un mola ou une manta ou un truc, ils sont cools et ils disent de venir leur rendre visite et qu'on ira plonger. Bénis soient ceux-là.


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